Artiser SEPTEMBRE 2015, Cézanne


Artiser / samedi, septembre 3rd, 2016

La rubrique ARTISER, revient après une pause, avec d’autant plus d’intérêt.
A vous qui m’avez lue, je propose une nouvelle vision, plurielle, sur l’Art.
François LUPU, amateur d’art averti, et moi-même, veillerons à développer dans cette rubrique, des visions différentes et complémentaires.
Bienvenue à François.
Pour ce premier numéro, Cézanne.
*Merci à Michel BERNARD, de nous accueillir ici.
Au mois d’Octobre 2016, MONET.

Paul Cézanne (Aix-en-Provence, 1839 – Aix-en-Provence, 1906)

Né dans une famille aixoise de commerçants très aisés, Paul Cézanne, après des études classiques, vient à Paris en 1861 et se décide définitivement pour la peinture en 1862. Il assiste alors aux conflits qui opposent l’art officiel et le modernisme, sans subir d’ailleurs d’influence majeure.

À partir de 1872, Cézanne s’installe à Auvers-sur-Oise, à côté de Pissarro, et se rapproche de l’impressionnisme tout en poursuivant ses recherches personnelles. Il expose lors de la première manifestation des impressionnistes chez Nadar, en 1874. Blessé par les réactions négatives, voire scandalisées du public à son exposition de 1877 – « l’artiste le plus attaqué, le plus maltraité depuis quinze ans par la presse et par le public, c’est M. Cézanne », écrit G. Rivière dans L’Impressionniste -, il cesse d’exposer et fréquente essentiellement les peintres.

C’est la période la plus féconde de son œuvre : il cherche à « traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône », s’éloigne de l’impressionnisme et multiplie les études de lumière et de construction de l’espace. C’est l’époque de ses grandes réalisations, les peintures de La Montagne Sainte Victoire et des Baigneuses thèmes qu’il reprendra jusqu’à sa mort. Il se brouille avec Zola en 1886, mais influence profondément la génération des nabis.

Il recommence à exposer à partir de 1889 et sera enfin reconnu au Salon d’automne de 1903 où il expose 33 toiles. Après sa mort, survenue en 1906, son influence grandit (57 toiles exposées au Salon de 1907) tant sur les fauves que sur les cubistes. En effet Maurice Denis, Picasso et Matisse possédaient chacun une version des Baigneurs ; et ce sont les leçons de Cézanne que semble suivre Braque quand il peint sa série de l’Estaque en 1908.

La prudence d’Apollinaire

La position d’Apollinaire envers Cézanne reste prudente pour ne pas dire ambiguë. Son premier article est assez général et n’apporte pas d’analyse très subtile : le poète se contente de marquer le sentiment que l’on a de l’œuvre. On note surtout la prudence du poète qui se retranche derrière la « prédilection marquée » des jeunes peintres. En effet, une part du cubisme semble avoir mis en œuvre la phrase fameuse de Cézanne : « traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône ». Certaines violations des règles classiques commencées par Cézanne seront développées par les cubistes. Ce débat sur le « classicisme » trouve un écho dans le second article polémique d’Apollinaire à propos de Cézanne. Mais encore une fois, le poète défend certes le peintre, sans toutefois faire apparaître l’apport essentiel de Cézanne. « Peignant d’après nature, il concentra son génie jusqu’à hausser l’impressionnisme à être un art de raison et de culture. » (Apollinaire, Figures de Cézanne, chez Vollard, L’Intransigeant, 27 septembre 1910).

La brouille avec Émile Zola

On a beaucoup insisté sur la brouille survenue entre Zola et Cézanne à la suite de la parution en 1886 de L’Oeuvre, dont le personnage principal, Claude Lanthier, un artiste aigri par l’hostilité du public, semble devoir beaucoup à Cézanne.

Peut-être d’ailleurs a-t-on trop insisté en confondant amitié et reconnaissance. On peut très bien être l’ami d’enfance et ne pas admirer pas totalement le talent de son ami. L’amitié saine n’empêche pas d’avoir son jugement propre. Ne mélangeons pas les sentiments et la liberté de juger. D’ailleurs, Zola reconnaissait la volonté opiniâtre de Cézanne, ambitieux, coûte que coûte, d’interpréter la nature telle qu’il la voyait. Mais on sent toujours une certaine distance dans l’attitude de l’écrivain. Bien avant L’Oeuvre.

Le projet cézannien

Cézanne, dans une lettre à Zola écrit : « Je m’ingénie toujours à trouver ma voie picturale. La nature m’offre les plus grandes difficultés »

Les plus grandes difficultés ? Oui, car il faut comprendre le projet de Cézanne… et sa souffrance. Souvenons nous de la référence de Cézanne à cette « nappe blanche comme une couche de neige fraîchement tombée et sur laquelle s’élevaient symétriquement les couverts couronnés de petits pains blonds » qu’évoque Balzac dans La Peau de Chagrin, et de l’aveu du peintre qui l’accompagne : «Toute ma jeunesse j’ai voulu peindre cette nappe de neige fraîche? » « Comment atteindre à cet acte d’expression, qui est le mystère même de l’apparaître et la « vérité de la peinture ? »

Cézanne refuse de choisir entre la sensation et la pensée, entre « les sens » et « l’intelligence », afin de rejoindre le monde primordial de « la nature à son origine », à savoir le sens incarné dans le sensible avant toute dissociation. Maurice Merleau-Ponty touche très précisément au point central de l’art cézannien quand il écrit : « Il ne sert à rien d’opposer ici les distinctions de l’âme et du corps, de la pensée et de la vision, puisque Cézanne revient justement à l’expérience primordiale d’où ces notions sont tirées et qui nous les donne inséparables »

Cézanne est Cézanne

A force de vouloir faire de Cézanne le précurseur de l’art moderne, on finit par ne chercher en lui que les traces du passé et les prémices de l’avenir. Mais Cézanne est avant tout Cézanne : un artiste dont l’oeuvre se suffit à elle-même : une vision du monde ; une construction du monde : « Dans un bon tableau, comme je le rêve, il y a une unité. Le dessin et la couleur ne sont plus distincts ; au fur et à mesure que l’on peint, on dessine ; plus la couleur s’harmonise, plus le dessin se précise. Voilà ce que je sais, d’expérience. Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude. Le contraste et les rapports des tons, voilà le secret du dessin et du modelé… »

Cézanne et Manet : les Grandes baigneuses et l’Olympia

La nudité des Grandes baigneuses n’est pas celle de l’Olympia de Manet.

L’Olympia ne relève plus du Nu traditionnel qui transfigure le corps humain à la lumière d’une intériorité spirituelle (comme la Primavera de Botticelli).

Chez Manet, la nudité n’est plus le témoin visible d’une présence invisible conviant le regard à s’élever, mais la mise en scène d’un corps désirable destiné à capter le regard du spectateur dans la magie même du désir.

Chez Cézanne, au contraire, demeure prégnante dans sa vérité picturale, sinon une référence traditionnelle au modèle idéal, du moins l’appel ultime à ce qu’il nomme explicitement « le logos infini ».

Dans la toile s’égalise l’espace accordé aux baigneuses par rapport à celui occupé par le paysage, pour s’unir tous deux dans un unique et puissant mouvement ascensionnel de manifestation profonde d’un ordre caché de la nature auquel communient les corps féminins. Ce qui rejoint dans sa signification ultime l’élan spirituel tellurique de la Sainte Victoire saisie dans l’essentialité de son accomplissement cosmique.

Comment ne pas évoquer aussi ces portraits cézaniens de vieillards comme chez Rembrandt, notamment La Vieille au chapelet ou LeJardinier Vallier, accordés avec leur entourage de vie en plénitude de sagesse et de paix intérieure ? A travers cet équilibre intime réalisé entre sensation et abstrait, est alors vraiment atteint le moment où « l’image respire comme un être vivant ». L’art de Cézanne fait vivre en plénitude l’expérience de la relation charnelle entre le visible et l’invisible.

La Montagne Sainte Victoire

« Je me suis reconnue dans l’obstination avec laquelle Cézanne a dressé, à l’horizon de ses toiles, indéfiniment, la masse claire de la montagne, comme une apparition, comme un but, comme une fin vers laquelle tout converge. Toujours, nous désirons aller vers elle. » (Jacqueline de Romilly)

La Montagnes Sainte Victoire ! Entre 1885 et 1906, Cézanne en a fait plus de 80 tableaux, j’ai envie de dire plus de 80 portraits. Plus que célébrée, la Montagne Sainte Victoire est devenue une icône de l’histoire de l’art et, comme toujours l’icône a tendance a effacer la réalité. On ne voit plus, on se contente de dire bien souvent « ah la Montagne Sainte Victoire de Cézanne » et d’admirer sans bien savoir ce qu’on admire.

Pour ressentir la Montagne Sainte Victoire, un seul conseil : faire le chemin vers elle, le faire à pied.

Faire le chemin de la Sainte Victoire

A mesure qu’on avance sur la « route Cézanne », qui va des faubourgs d’Aix-en-Provence au village de Puyloubier, la montagne Sainte-Victoire prend peu à peu toute la place dans le paysage : monument de pierre claire qui se dresse, un peu plus imposant et fascinant à chaque pas. Passé le hameau du Tholonet, à chaque détour de la route, une nouvelle vue de cette face sud de la Sainte-Victoire s’impose comme une toile du maître.

En s’en approchant, on comprend pourquoi elle a obsédé l’artiste. Elle a quelque chose d’originel, tout comme le mont Fuji au Japon. Elle est devenue un repère symbolique et artistique : parfaite, avec un début, une fin, c’est un peu la montagne telle que peut la dessiner un enfant !

Au pont de l’Anchois, on quitte la route pour rejoindre le Cengle, socle de terre rouge sur lequel est posée la montagne. Depuis l’incendie d’août 1989, la végétation a repris ses droits, même si on est très loin de l’extraordinaire forêt de chênes verts disparue. Des oliviers et des pins ont été plantés, en ligne. Çà et là, un tronc calciné subsiste. Peu à peu, le soleil monte, l’atmosphère se réchauffe. Dernier raidillon à travers la garrigue, dans la terre ocre, et le pied du mur-montagne est atteint.

Et pour conclure : un canard aux olives.

En 1897, pendant l’été, Cézanne se rend régulièrement au Tholonet où il a l’habitude de déjeuner au restaurant tenu par Rosa Berne, (l’actuel relais Cézanne). Cézanne est un grand artiste, mais on oublie qu’il est aussi un homme comme les autres et un bon mangeur dont le plat préféré est le canard aux olives. Il écrit le 8 septembre 1897 à un de ses amis : « Votre père viendra manger un canard avec moi dimanche prochain. Il sera aux olives (le canard bien entendu) ». Et Rosa Berne semble maîtresse dans l’art de confectionner des œuvres culinaires.

François Lupu. Saint Amand Montrond le 4 septembre 2015

Billet de Sylvia BEL No 1

Lorsque, avec François, nous avons décidé, de mutualiser ses connaissances et mes ressentis, spontanément j’ai proposé Cézanne.

1839-1906, en 2016, très certainement un film, pour le cent dixième anniversaire de sa mort.
Son nom, résonne comme un hymne à la peinture. Entre, impressionnisme et cubisme, personnellement, je retiens les nombreuses interprétations de  La Montagne de la Sainte Victoire, aux couleurs si particulières, que lorsqu’on parle de La Sainte Victoire, défilent à l’esprit et devant nos yeux, ces représentations de Cézanne et les paysages d’arbres.
Cependant, Cézanne, ne s’est pas cantonné, à cela.
Sa couleur de prédilection, fut le gris clair, avec lequel, il peignit les murs de son atelier, au Bastillon (petite bastille) avec vue sur la Sainte Victoire, avec la volonté de fixer les chemins de son enfance. Ses natures mortes, reflètent des couleurs, à nulles autres comparables. La rondeur de la pomme, la couleur des cerises, le velouté de la pêche. Le reflet de ces tables provençales, avec effets de nappe.

L’arrière petit- fils de Cézanne, considère que Cézanne est provençal.
Sa propriété, est devenue la propriété d’Aix e Provence, et attend des travaux.
Sur les murs d’une grande pièce de la propriété familiale Le Jas de Bouffan, Cézanne a peint les 4 saisons, avec le portrait de son père au centre. Son père convaincu, lui permet des cours à Paris. Mais l’âme de Cézanne est provençale, même si Paris, est un détour et un moyen de rejoindre les Grands. Son esprit, reste attaché à sa région.

Émile Zola, son ami, pressent la gloire de Cézanne, mais il rejoint Paris, s’en suit une correspondance assidue entre les deux amis. Zola prévoit même l’arrivée de Cézanne à Paris, avec des cours chez Suisse.
Le peintre en puissance, éprouvait sans cesse le besoin de se ressourcer à Aix en Provence.
Un grand attachement à la famille, à son père si paternaliste, une adoration et une grande tendresse pour sa mère.
Il reproduit le même schéma que son père, en épousant Hortense, après la naissance de son premier enfant.Son père lui même épousa sa mère, qu’à la naissance de sa soeur.

Il semblerait, que cette coupure avec Zola, dont on dit, qu’elle fut douloureuse pour Cézanne, semble plus atténuée que ce qui fut interprété et raconté.
Je retiens, une grande sensibilité, à la critique, qui agira en aiguillon pour sa carrière de peintre.
De façon identique, l’impact de la famille est important, la mort du père, une étape marquante, la mort de sa mère, autre énorme chagrin. Il ne se rend pas à ses obsèques, la propriété familiale doit être vendue.
Cézanne achète, un grand terrain avec une vieille bâtisse, oliviers centenaires, il la remet à son goût très sobre.
Son dernier portrait: celui de son jardinier.
Son ami, Joachim Gasquet, le conseillait, et pensait que c’était un incompris.

Faut il déduire, de manière tout à fait personnelle, que nombre de peintres atteignent une certaine reconnaissance, après leur mort, une puissance artistique. C’est ici le cas.

Voici une très belle rétrospective dans cette vidéo:

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