Cher ami;
Déjà février et chaque jour, plus trois minutes de lumière. Cela est d’autant plus présent les jours sans nuage. De façon très discrète, le printemps est en marche. Le mimosa continue de resplendir et de nouvelles fleurs surgissent.
Ne l’oublions pas, l’hiver est consacré à Héphaïstos, dieu des arts, du feu et des vendanges. Les saisons scandent le rythme de la vie. Elles nous révèlent l’alternance cyclique et les éternels recommencements. Mais cela se fait dans un contexte donné. Le nôtre est étrange. Cette pandémie nous dévoile des questionnements trop oubliés et des indices pour une renaissance.
Mais pouvons-nous encore écouter, lire et en tenir compte pour enfin prendre soin de nous, condition pour prendre soin de l’autre ? N’allons-nous pas, conditionnés, formatés, reprendre vite nos anciennes et toujours présentes habitudes ? En cela, je repense à Henri Laborit. Comment oublier ce qu’il nous laisse comme message!
Il insiste en particulier sur la lucidité de nos déterminismes pour s’en libérer. Et il écrit : « Beaucoup d’êtres mourront ainsi sans jamais être nés à leur humanité, ayant confiné leurs systèmes associatifs à l’innovation marchande en couvrant de mots la nudité simpliste de leur inconscient dominateur. »
Dans ce que je vis, je souhaite partager avec toi cinq sentiments profonds :
– L’un est le silence de personnes proches. Ni le téléphone, ni le courriel n’ébranle ce silence. Sont-ils morts ?
Je ne sais.
– Un autre est notre fragilité, notre vulnérabilité, ce mot dont Bertrand Vergely a fait un très beau livre pour l’explorer.
– Il y a aussi l’apport de chacun au monde. Oui je suis impressionné par la spécificité, l’unicité de l’apport de chacun. La source est celle qui traverse, vit, s’exprime dans ces apports. Quelle leçon d’humilité et de solidarité! Comment oublier l’amour ! Ce mot si galvaudé, si unique et si essentiel à la vie. Je n’en finis pas d’explorer ce mot et au-delà sa source pour exister. Il reste un mystère dans son origine et son fonctionnement.
– Enfin il y a moi. Je ne suis pas à l’origine de ma naissance, temps, lieu, parents. Mais je suis responsable de ma vie.
Une vie ne suffit pas pour parvenir à une compréhension suffisante. La sagesse est peut-être cela : cheminer avec toujours une faible compréhension, marcher lucidement, conscient de ce que nous perdons avec l’âge, mais aussi de ce que nous pouvons aussi tant nous développer ! Je me souviens avec ma dernière fille avoir souvent parlé du feu de paille et du feu de braises. Certains restent figés sur le premier. Or pour connaître le second, il convient de renoncer au premier.
Marcher, c’est renoncer pour découvrir mieux et plus connaître.
Notre vie est si courte, même si nous devions vivre 200 ou 300 ans ou plus. Sans doute certains seraient fatigués de vivre. Moi avec la santé en tout, pas du tout. Il me reste tant à faire avant de quitter la scène humaine.
Et toi, que deviens-tu ? J’espère au printemps pouvoir t’accueillir ici. Tu verras que j’avance dans mes microprojets. Tu sais, de plus en plus, je suis et manuel et intellectuel. Il s’agit là d’un découpage artificiel. Le vrai problème : comment être un humain en humanité ?
Notre rencontre sera l’occasion d’une fête simple, joyeuse, unique de plusieurs jours. Je me prépare à déguster ce temps. Il relève d’un temps long où l’amitié vit les saisons, toutes en quête du beau, du vivant
et de ce mot toujours mystérieux l’amour.
Mon amitié présente à distance
Michel, février 2021